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À propos de nous

Nous vivons un moment de bascule dans l’histoire de l’Humanité, une mutation sociétale profonde plutôt qu’une phase temporaire de dysfonctionnements et de crises. Un profond malaise est ressenti par les individus. Celui-ci est instrumentalisé par des leaders populistes identitaires qui appellent à la « retribalisation ». Les démocraties peuvent ainsi mourir à petits feux.

Le mot « crise » est omniprésent dans la sphère publique. Son utilisation abusive et l’attention prépondérante accordée à l’économie et aux convulsions ponctuelles de nos sociétés contribuent à une interprétation erronée : nos sociétés feraient face à une période temporaire de dysfonctionnements économiques, social, sanitaire, énergétique qu’il suffirait de résoudre pour retrouver l’équilibre antérieur. Ce faisant, au-delà de la crise économique actuelle – forte inflation qui érode le pouvoir d’achat, instabilités diverses -, de la pandémie de Covid, de la guerre en Ukraine, des basculements géo-politiques, on néglige d’analyser les mutations profondes de nos sociétés, et de traiter ces changements comme des mutations aussi fondamentales, par exemple, que celles du passage de la société agricole à la société industrielle.

 

Qu’en est-il ? Comment en est-on arrivé à cette mutation profonde ?

Depuis les années 1980, la mondialisation et l’ouverture des marchés ont entraîné une augmentation des inégalités, comme l’ont souligné Paul De Grauwe et Thomas Piketty. De Grauwe a averti que des inégalités excessives pourraient miner la démocratie, une idée également abordée par Tocqueville. Si les gens pensent que les institutions, telles que la politique ou l’enseignement, ne les soutiennent plus, cela pourrait les amener à rechercher refuge dans des identités plus tribales.

Cette tendance a été exacerbée par des politiques de dérégulation et de libéralisation, popularisées par des figures comme Thatcher, Reagan, Hayek et Friedman. Ces politiques n’ont pas seulement généré des inégalités, mais ont aussi favorisé une sphère financière non régulée, affaiblissant les institutions. De plus, les réseaux sociaux ont renforcé cet affaiblissement institutionnel, créant une société plus fragmentée. Face aux crises actuelles, notamment le changement climatique et l’inflation, beaucoup aspirent à un changement radical, cherchant refuge dans une gouvernance plus autoritaire et une identité plus pure.

Quels liens entre dérégulation et une société fragmentée ?

Dans un de ses ouvrages, le philosophe Philippe Van Parijs a bien montré que von Hayek avait compris avant tout le monde que la dérégulation, notamment de la finance, allait opérer comme un acide sur toutes les institutions mais aussi sur toutes les actions collectives en les phagocytant. Selon von Hayek, la dérégulation allait créer une configuration où les sociétés se fragmenteraient de plus en plus et où les individus seraient atomisés face à la sphère financière. von Hayek en avait une lecture positive car selon lui, ainsi le marché pourrait alors se développer sans entraves et assurer une certaine prospérité.

Actuellement il n’y aurait plus vraiment de capacité collective d’agir, mais cela n’a pas toujours été ainsi…

Nous sommes à une intersection cruciale de l’histoire humaine, une transition sociétale. Comme Gramsci l’a souligné, dans cette période de transition, de nouveaux défis émergent. Dans le passé, la société était principalement structurée autour d’un conflit entre le mouvement ouvrier et les propriétaires des moyens de production. Leur bataille centrale était le partage des richesses produites grâce à l’exploitation de ressources apparemment infinies. À cette époque, les enjeux étaient clairs, et une société unifiée avait une direction claire.

Cependant, les lignes entre les classes sociales se sont brouillées, entraînant une perte du sentiment d’unité et de destin partagé. Aujourd’hui, les conflits sont souvent défensifs et centrés sur des intérêts spécifiques. De plus, les explosions sporadiques de frustration et de mécontentement sont habilement exploitées par des leaders populistes, qui utilisent ces émotions pour renforcer leurs aspirations au pouvoir et promouvoir une vision tribaliste de la société.

Quels seraient les acteurs futurs ?

On peut formuler une hypothèse : dans ce nouveau monde, l’enjeu principal sera le rapport aux écosystèmes du vivant et à l’habitabilité de la planète comme disait Bruno Latour. Les deux acteurs qui seront en conflit pour déterminer les grandes orientations à l’égard de cet enjeu seront d’une part les productivistes/ extractivistes et d’autre part, les « renaissants » convaincus qu’il s’agit de modifier en profondeur nos façons de gouverner nos sociétés, de produire, de consommer, de nous déplacer, etc. pour maintenir l’habitabilité de la planète.

Mais actuellement, on ne voit pas encore se structurer ces acteurs sociaux. Nous sommes dans cet entre-deux, ce clair-obscur qu’évoque Gramsci. En l’absence d’un récit fort et émancipateur qui envisage la construction de sociétés ouvertes et protectrice, l’aspiration à la retribalisation monte partout. C’est une terrible régression car la retribalisation va à contre sens des grands enjeux auxquels nos sociétés sont confrontées : climat, bio diversité, financiarisation, inégalités qui appellent des mesures systémiques à grande échelle, loin des murs et des barbelés. L’aspiration à la retribalisation est une diversion tragique mais cela a une histoire.

Quels espoirs ?

Dans un contexte de défis mondiaux, des individus œuvrent discrètement pour des sociétés ouvertes, combattant diverses formes de dominations : climatiques, économiques, sanitaires, etc. Ces acteurs aspirent à redevenir maîtres de leur destin, cherchant à résister à la retribalisation ambiante.

Les expérimentations comme les Conventions Citoyennes offrent une lueur d’espoir. Les participants, souvent transformés par ces échanges démocratiques, se sentent valorisés et écoutés. Cette approche repose sur une « démocratie narrative », où les individus partagent leurs vécus, suivie d’une « démocratie délibérative », basée sur des débats éclairés.

Face à l’urgence des défis mondiaux, il est attendu que les dirigeants adoptent des régulations fortes tout en élaborant des récits d’émancipation. Ces récits, essentiels à la compréhension et à la progression sociétale, façonnent notre réalité. Il est crucial de se rappeler que sans ces récits, notre compréhension du monde est limitée.

Il est moins cinq Pour l’Europe : deux Europes émergent

Identitaire

Nationaliste (voire ethno-régionaliste), tribale, xénophobe, repliée, fermée, nostalgique des frontières

Cosmopolite

Universaliste, inclusive, ouverte, avec une citoyenneté légitime forte et une appréciation pour la diversité

Le risque est l’apparition, en Europe, de kyrielle de micro-nationalismes xénophobes.

Les germes apparaissent déjà. Comme disent Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit, « Ce qui s’est produit dans les années 30 peut se reproduire. Réagissons à temps avant qu’il ne soit trop tard ». Même s’il existe des spécificités, on retrouve globalement les mêmes thèmes dans une série de partis en Europe et dans le monde : Meloni et Fratelli d’Italia en Italie, Afd en Allemagne, Orban en Hongrie, Vox en Espagne, Le Parti des Vrais Finlandais, le FPÖ en Autriche, le Vlaams Belang en Belgique, le RN et Reconquête en France, le Front National Islandais, Le Partij Voor De Vrijheid aux Pays-Bas, etc. attestent par leurs scores électoraux que cette lame de fond existe bel et bien et s’ancre progressivement partout.

Une aggravation de la crise sociale et un affaiblissement des « amortisseurs » constitués par nos Etats Providence pourraient accélérer la forte croissance des populismes identitaires qui utilisent le désarroi actuel des populations pour souffler sur les braises de la peur et de la haine de « l’autre » en développant une forte victimisation et un marketing de la peur (« Nous sommes envahis », « Préférence nationale », « Eurabia », etc.) qui sont censés, selon eux, conduire à laver un « affront », une « humiliation », même très ancienne mais rappelée avec force, voire falsifiée. Donc un potentiel de violence important, de crime et de haine que l’on voit s’amplifier dans plusieurs pays. Certaines mobilisations sont davantage porteuses d’un refus de l’évolution du monde et rejettent le « système » dans son ensemble – sans pour autant apporter de projet politique.

… Mais aussi à l’échelle mondiale !

Ce mouvement de « retribalisation », de montée des communautarismes et de repli identitaire déborde largement l’Europe. Le trumpisme aux Etats-Unis, Modi en Inde, le bolsonarisme au Brésil, le poutinisme en Russie, etc. sont des mouvements puissants.

Songeons aussi aux « hivers islamistes » qui ont détruit les révolutions arabes. Et les multiples conflits en Afrique qui sont souvent animés par des groupes politiques qui, dans leur quête du pouvoir, jouent sur la fibre identitaire en l’exacerbant. Pensons aussi à la floraison de mouvements religieux divers aux Etats-Unis qui sont autant de replis dans la conviction de détenir chacun, seul, la « Vérité » et constituent ainsi des blocs identitaires, une dichotomie d’identité entre « eux et nous ».

Aucune région de ce monde désormais globalisé n’échappe à ces replis qui sont précisément des réponses à cette mondialisation vécue comme négation de soi, de sa culture, de sa langue, de ses traditions, de sa religion, etc. Nous sommes à un tournant. Les utopies politiques étant défaites, on se retranche dans les communautés qui fonctionnent comme cocons protecteurs d’un monde menaçant. Ce glissement de l’idéologique vers l’identitaire a des effets ravageurs sur l’ensemble de la planète. Nous entrons peut-être dans une ère de régression culturelle, politique. Des droits acquis de haute lutte sont reniés.

Le temps de l’action

Le danger est, par notre silence ou notre absence de vigilance, de laisser à ces mouvements une place encore plus grande. L’enjeu est bien de reconnaître, de comprendre et de faire comprendre les mutations sociétales profondes afin de contrer ces populismes identitaires en proposant des alternatives répondant aux doutes des populations, dont le vertige identitaire est légitime.

Trop souvent domine encore l’attachement à des catégories de pensées et d’actions d’une société que nous quittons. On éprouve des difficultés à rompre avec les modèles classiques.Nous devons proposer des alternatives qui répondent aux craintes légitimes de la population. Nous devons passer à l’action!

Notre organisation

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